Le mamasan

Penchée sur le volant, je scrute la route. La neige tombe, drue et épaisse. Je me redresse et soupire.

J’adore la neige quand elle recouvre les sapins autour du chalet et qu’elle scintille au soleil comme un diamant. J’adore la neige quand je suis blottie au coin du feu, un livre dans les mains, moitié couchée moitié assise dans le mamasan, cette immense nacelle en osier dans laquelle je me love sur le grand coussin rond et blanc.

Je suis tombée sur ce chalet un été au cours d’une promenade dans la montagne au-dessus de Saint-Cergue. Perdu au bout d’un sentier forestier. Un chalet en bois, des géraniums aux fenêtres, un vrai chalet suisse. Cinq kilomètres plus loin, à l’épicerie du village, je notai le numéro de téléphone et louai le chalet pour l’hiver.

J’ai fermé la maison, confié les plantes et les clés à ma voisine, une vieille demoiselle. La seule chose que j’ai amenée avec moi de Genève est le mamasan.

Cela m’avait paru étrange au début, cette soudaine décision de me remuer, de ne plus croupir, languir, moisir.

Avec la régularité d’une horloge, mon cœur avait compté chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour. Enfoncée dans le rocking-chair devant la fenêtre, j’avais laissé mon regard se perdre sur les sommets enneigés. De l’aube au crépuscule. De l’aurore aux doigts de rose jusqu’aux flammes du couchant, les montagnes s’étaient embrasées de rouge puis s’étaient consumées de pourpre. Ces mêmes couleurs qui illuminaient les montagnes sur la photo suspendue au chevet du lit, au-dessus de la tête blanche qui reposait sur l’oreiller. Ses cheveux n’avaient jamais pu rivaliser avec la blancheur de la taie d’oreiller. Il avait toujours aimé dormir dans de la literie d’un blanc immaculé. Cela n’avait guère eu d’importance pour moi jusqu’alors.

Jusqu’à ce qu’il s’endorme, de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. Jusqu’à ce que le drap qui le recouvrait ne bougeât plus et que ma tête reposât sur un cœur silencieux.

Alors je m’étais assise dans le rocking-chair et avait fixé les montagnes multicolores au loin. Longuement. Interminablement.

Et puis vint le moment où il avait fallu sécher mes larmes, ouvrir les armoires et les tiroirs, faire le tri, repenser la maison, de la cave au grenier. C’est là que je l’avais retrouvé. Le mamasan dans lequel deux corps d’une vingtaine d’années s’étaient enlacés jusqu’à ne faire plus qu’un et dont le grand coussin vide attendait que je m’y blottisse.

Depuis, le mamasan trône devant la cheminée du chalet. Plus que trois kilomètres avant de pouvoir m’y lover. Les yeux fixés sur la neige, je rétrograde pour gravir la pente raide de la petite route escarpée. Les roues patinent, glissent sur la neige, la voiture tangue un moment puis bondit dans le vide.

Allongée sur un immense linceul blanc, je ne vois plus rien, je n’entends plus rien, je ne sens plus rien. J’ai retrouvé mon mamasan.

Translated by O.P.

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