Les nouilles de longévité

Le téléphone sonne. La voix de mon frère à l’autre bout du monde.

« C’est maman. Elle va mal. »

Je raccroche, les yeux fixés sur la fenêtre. Le Mont-Blanc me renvoie son reflet sombre et glacé.

J’ai demandé un congé, payé les factures en suspens, demandé au voisin de relever mon courrier. Trois avions et vingt heures de vol pour passer de mon monde au sien.

J’entends encore sa voix.

« Pourquoi le français ? » m’avait-elle demandé, penchée au-dessus de mon épaule alors que je remplissais mon formulaire d’inscription à l’université. « Pourquoi pas le chinois ? Tu es chinoise après tout ! ».

« Justement ! Le chinois, je connais, j’ai envie d’apprendre quelque chose de nouveau. Et puis j’adore entendre parler français !

« Tu as toujours été différente » avait rétorqué ma mère en secouant la tête. Un haussement d’épaules. En validant mon rêve, le sien s’évanouissait.

Je regarde passer les nuages, immenses pelotes de coton qui s’enlacent tendrement dans leur écrin de ciel bleu. Rien de tendre dans l’estomac rouge sang et tuméfié de ma mère. Les images envoyées par mon frère sont resté bloquées en mode « pause » dans le film de mes pensées.

J’appuie ma tête contre le hublot. Je ferme les yeux. Je respire profondément. Plusieurs fois.

« Oshibori ? » Une touche d’hospitalité asiatique au départ d’un long vol. Je tends la main pour prendre la serviette chaude que me présente l’hôtesse. Je la tiens un moment entre le pouce et l’index, puis la déplie d’un coup sec. La tête renversée contre le dossier, j’applique doucement la serviette sur mon visage. Brûlure bienfaisante sur la peau.

J’aimerais pouvoir rester longtemps sous cette serviette mais l’hôtesse ne tarde pas à venir la reprendre. En échange, elle me tend le menu. Poulet rôti avec purée ou bœuf sauté avec légumes et nouilles chinoises.

« Prend toujours le menu asiatique, me disait ma mère, tu ne seras pas déçue. »

Sa voix. Combien de temps l’entendrai-je encore ?

Je souris. Je sais qu’elle sourira lorsque je le lui dirai.

« Toi qui ne m’a jamais écoutée de mon vivant, ça m’étonnerait que tu m’entendes du fond de ma tombe ! »

J’avale mes nouilles chinoises. « Toujours servir des nouilles aux repas d’anniversaire, elles symbolisent la longévité. »

Je regarde un film. Puis un autre. Et un autre.

Translated by O.P.

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